Focus sur Roberto Benigni

Le comique (intellecto-)mélancoliqueroberto-benigni

 L’année 1997 est celle qui a signé la consécration de Roberto Benigni avec son film oscarisé et mondialemement plébiscité « La vita è bella ». Il fallait une dose suffisante de courage pour affronter la thématique du génocide juif avec un regard différent, un regard qui se porte garant de la sauvegarde de l’innocence enfantine au détriment, selon certains, d’un traitement réaliste des faits historiques. Loin de l’aspect documentaire certes génialissime d’un Spielberg avec La liste de Schindler ou encore de la haute teneur dramatique du Pianiste de Polanski, Benigni propose sa propre version du drame le plus dévastateur de l’Histoire du XXème siècle et part d’une question simple : comment réussir à confronter les jeunes générations à l’absurde volonté destructrice de l’Humanité sans les froisser et les choquer de manière irrémédiable ? Entre un film choquant comme la Liste de Schindler et le Vie est Belle, lequel choisirions nous pour nos enfants ? La réponse semble claire, au moins pour la première approche que les plus jeunes font sur ce chapitre de notre Histoire. Ainsi Benigni a-t-il décidé de prendre comme point de focalisation le regard naïf d’un enfant et construit toute sa trame sur le défi que relève un père se retrouvant avec son fils dans un camp de concentration : pour ne pas terroriser son fils il décide de lui faire croire que tout n’est qu’un jeu, une sorte de colonie de vacances difficile où la récolte de 1000 points permettra de gagner un tank grandeur nature, vu que le jouet préféré de l’enfant est un tank en bois. L’imagination devient dès lors une arme de survie imparable pour le père comme pour l’enfant. Même si le film a ému le monde entier et qu’il a raflé toutes les récompenses imaginables, certains ont accusé Benigni d’avoir minimisé les faits et d’avoir, ainsi faisant, manqué de respect à la communauté juive. L’on pourrait argumenter contre leur réticence en soulignant que c’est le propre de la fiction d’être en droit de se réapproprier les faits de la réalité et même d’inventer des récits en la prenant comme point d’ancrage. Mais dans ce cas précis il nous suffit de rétorquer que la réalité historique est bien plus présente qu’il ne semble.

https://www.youtube.com/watch?v=64ZoO7oiN0s

Un scénario finement ficelé

Le film propose une trame se divisant en deux parties : dans la première Guido Orefice quitte son village natale pour aller vivre à Florence avec son ami Ferruccio, poy parvenir il brairie, tomber amoureux, fonder une famille.  En attend nt d’ Florence avec son ami, posd différent, un regard quète en recherche de reconnaissance. Son rêve est simple : ouvrir une librairie, tomber amoureux, fonder une famille. Mais les règles administratives requièrent une longue procédure burocratique pour ouvrir un commerce. En attendant d’y parvenir il travaille au Grand Hotel de la ville auprès de son oncle Eliseo. Comme dans toute fable amoureuse qui se respecte il rencontre « sa princesse », Dora, d’une façon loufoque que seul Benigni est capable d’imaginer : alors qu’il tente en vain d’aider Ferruccio à réparer les freins de leur voiture dans un coin de campagne perdue, une femme, montée dans un poulailler pour récupérer des œufs, s’affole face à un nid de guêpes et est sur le point de tomber, Guido la rattrape de justesse et s’effondre avec elle sur une botte de foin s’exclamant « Buongiorno principessa ». Le coup de foudre est lancé et cette réplique u donne le ton à la comédie amoureuse ludique qui se développe dès lors sur les nombreuses tentatives que Guido met en œuvre pour rencontrer Dora dès qu’il apprend qu’elle vit à Florence. Il parvient par ses tours de passe-passe clownesques et son ironie d’abord à la

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séduire, puis à l’enlever le soir de ses fiançailles à dos d’un cheval peint en vert.

La seconde partie part d’une ellipse, l’on retrouve les protagonistes cinq ans plus tard, en couple et parents d’un petit garçon Giosuè qui pendant que Dora va travailler reste avec son père dans la librairie qu’il a finalement pu ouvrir. Le jour de son cinquième anniversaire Giosuè, son père et le vieux oncle Eliseo sont enlevés par des troupes armées et déportés dans un camp de concentration. Là, le film passe de la fable au drame de manière lapidaire. L’on suit dès lors le quotidien de Guido dans ce camp et ses efforts pour faire en sorte que son fils ne découvre pas la vérité sur la raison de leur présence là-bas. ll imagine que tout n’est qu’un jeu, un concours pour son anniversaire. Le but ? Ne pas se faire intimider par les méchants gardes qui cherchent à éliminer les concurrents en étant sévères et se cacher pour ne pas qu’ils le voient. Une scène résume parfaitement le courage du père pour sauvegarder l’innocence de son fils, il ose se faire passer pour un traducteur des règles du camp, les substituant avec les consignes du « jeu à 1000 points »:

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Cette déportation nous plonge de plein pied dans le drame et l’on réalise que l’histoire d’amour de la première partie se situe aux prémisses de la Seconde Guerre Mondiale. Dès lors l’on interprète différemment certains indices parsemés dans le film: par exemple lorsque Guido et Ferruccio perdent le contrôle de leur véhicule, les gestes de panique de Guido sont pris pour le salut fasciste, la raison des postes militaires sur la grande place et des difficultés que Guido rencontre pour ouvrir son magasin. En outre l’on comprend mieux pourquoi Eliseo se fait agresser chez lui ou encore la raison pour laquelle des vandales ont peint son cheval blanc en vert et on écrit sur son flanc « Achtung cavallo ebreo ». Ce même cheval est celui que Guido exploite pour enlever Dora, par cet acte Benigni nous indique que le  drame n’est pas encore sur le devant de scène et que la fable le supplante encore. De nombreuses autres choses entrent en ligne de compte : une des plus célèbre scènes du film concerne le moment où Guido se feint inspecteur institutionnel pour faire une surprise à Dora sur son lieu de travail, il se retrouve à devoir présenter le « manifeste fasciste de la race » à des élèves, basant tout sur l’improvisation, il offre une performance hilarante qui critique subtilement la folie des concepts mis à l’œuvre dans ce document fasciste, un discours qui l’on veut pousser l’analyse à l’extrême se révèle être le pendant comique du discours dans le Lager….

le manifeste de la race

Des indices en crescendo qui font comprendre que lui aussi est juif : le fait que l’on ait écrit sur la porte de sa librairie  « magazin juif » ou encore le fait que Giosuè ne soit pas encore intégré dans le système scolaire (le manifeste de la race interdisait aux juifs de fréquenter les structures publiques), mais surtout l’on réalise que Giosuè se sent concerné lorsqu’il lit devant l’entrée d’un bar que les juifs n’ont pas le droit d’entrer. UnknownLa subtilité du scénario est ainsi faite que Benigni prend le soin de faire parler les personnages en formule impersonnelle, sans faire comprendre qu’ils sont eux-même juif, comme pour retarder le coup de théâtre de la déportation.

Des running jokes dramatiques.

La plus value de ce film ne se fonde pas seulement dans son anglage inédit sur le génocide juif mais aussi sur la façon toute benignienne de structurer un récit sur des running jokes. Déjà dans ses autres films, précédents à la Vie et Belle est peu connu par le public international, Benigni mise beaucoup sur les gags à répétition et les quiproquos même avant ce film :il piccolo diavolo Le monstre ou il Piccolo Diavolo se basent sur des quiproquos, dans le premier Benigni interprète un homme malchanceux en amour, qui se feint infirme pour avoir droit à un aide de l’état – une ironique critique de la bureaucratie italienne- qu’une série de coïncidence que la police soupçonne d’être un maniaque sexuel, il sera dès lors contrôlé par un agent de police (Nicoletta Braschi) qui ne le laisse pas indifférent. il mostroDans le second un prêtre spécialiste de l’exorcisme, Walter Matthaus, guérit une femme possédée, seulement voilà le démon qui l’habitait décide de rester sur terre et de le suivre partout pour l’initier à une nouvelle façon de voir la vie.

Dans Johnny Stecchino il est le sosie parfait d’un chef de mafia recherché par les autres clans et contraint à la clandestinité, la protagoniste féminine, toujours Nicoletta Braschi, Maria sera chargé de substituer le naïf Benigni avec ce mafioso. imagesIngénu face au monde de la criminalité, ce personnage attachant est par exemple capable de croire que la cocaïne soit un médicament révolutionnaire contre le diabète et a induire un cardinal à en prendre pour lutter contre ce maux.

Ces quelques exemples, des microcosmes inconnus en dehors de l’Italie, sont à découvrir car l’ironie et le sarcasme sont exploités non seulement pour divertir mais aussi pour mettre en relief des thématiques délicates comme le sexe, la religion, la criminalité. En Italie ses shows et ses apparitions télévisuelles créent toujours la discussion, voire même la polémique le plus souvent quand il affronte des thématiques politiques et qu’il insère son sujet de discussion favori: Berlusconi.

Avec la Vie est Belle il a atteint une nouvelle expression, plus subtile, qui corrèle à la perfection lle comique au dramatique, donnant une plus value à son regard artistique. S’inspirant de Chaplin et lui rendant hommage même dans certaines scènes (cf. le pas de l’oie dans une des scènes finales) chaplinmais aussi à Primo Lévi et Anna Frank, il est parvenu à ajouter à sa stridente ironie une sensibilité en plus en convertissant des scènes initialement comiques en instruments indispensables au relief dramatique du film.

Un exemple : avant la déportation l’on assiste à une scène familiale attendrissante où Giosuè grinchonne parce qu’il ne veut pas prendre son bain, malgré les recommandations de sa mère. Pour y échapper il se cache dans une commode avec la complicité de son père. Dans le Lager ces deux éléments sont subtilement réintroduits dans la trame en mode dramatique : Dora est entrain de trier les vêtements des enfants et des personnes âgées avec la terreur que son fils aussi ait été appelé à prendre « sa douche » dans les chambres à gaz, comme il le faisait chez lui Giosuè s’est caché pour ne pas avoir à supporter la corvée de la douche mais dans ce contexte son caprice lui sauve la vie puisque c’est la chambre à gaz qui l’attendait s’il avait accepter de s’y rendre sans broncher.

https://www.youtube.com/watch?v=v2sqjebFODg

Le fait que Guido le réprimande pour ne pas avoir obéit et lui ôte même quelques points dans le jeu est une subtile manière que Benigni a trouvé pour souligner à quel point les déportés ignoraient le sort qui leur était réservé. On mesure l’ampleur de cette incrédulité lorsque Guido de nuit, son fils endormi dans ses bras se retrouve confronté dans le brouillard à une gigantesque montagne de cadavres et qu’il reste pétrifié de terreur. En se cachant dans une boîtier d’électricité Giosuè échappe aux dernières tentatives d’éliminations des juifs avant l’arrivée des américains. Les jeux qu’il partageait avec son père dans la vie de tout les jours le sauvent d’une mort certaine. nascondinoIl y a beaucoup d’autres exemples de ce type à repérer qui confirment que même si l’horreur de cette période historique n’est pas constamment exhibée, elle reste présente, en filigrane suggérée au bon moment.  Ce film a une structure bien plus complexe qu’il ne semble au premier coup d’œil et pour l’apprécier à sa juste valeur je vous invite à le redécouvrir en tenant compte des suggestions que je vous ai proposées. A l’occasion prenez aussi le temps de voir le dernier film qu’il a réalisé Le tigre et la Neige, le schéma narratif est similaire mais cette fois le contexte est plus récent, celui du début de la guerre en Irak en 2003, on y retrouve la même ambivalence comico-dramatique dont Benigni a fait une marque de fabrique désormais. Certains pourraient dire qu’il ne s’agit que d’une vague réplique de La Vie est belle, mais si une formule a bien marché pourquoi la changer. Et surtout qu’ils essaient de se pencher sur le regard qu’il pose sur le peuple américain ainsi que le peuple irakien, qui sont en fait tant l’un que l’autre des victimes de la soif de vengeance du gouvernement américain et de l’extrémisme terroriste.

Un artiste « culturellement engagé »

Depuis 2005 Benigni n’est plus passé derrière la caméra car il est complétement impliqué dans un projet qu’il réalise depuis plusieurs années, à savoir la lecture publique avec un commentaire adapté par ses soins de plusieurs chants de la Divine Comédie de Dante Alighieri. benigniUne nouvelle manière d’exploiter son naturel comique, cette fois corrélé à une volonté didactique, pour convaincre que la culture appartient à tout le monde et pas uniquement aux universitaires ou aux experts. Sa dernière apparition télévisée a enthousiasmé toute la péninsule : il a lu des articles de la Constitution pour réactiver les cœurs et les cerveaux de beaucoup d’italiens. L’on peut rétorquer à ses initiatives culturelles d’être uniquement de belles paroles en l’air, pour ma part je trouve intéressant et stimulant pour les jeunes générations que Benigni ne se limite pas à faire le clown et qu’il propose par le biais de ses lectures une réflexion profonde sur la littérature et sur la culture au grand public. Il prouve que derrière un grand comique se cache un grand penseur.

Avec l’espoir qu’il reprenne en main prochainement son ciak cinématographique, voici une des scènes les plus significatives de son dernier film, où les rires sont est au rendez-vous mais les larmes nous guettent aussi!

https://www.youtube.com/watch?v=RTwZoawHU0k